« Une véritable volonté politique »

Le vice-président de CDMO France veut redonner un souffle à l’activité pharmaceutique sur le territoire pour soutenir les PME du médicament, les produits matures et l’indépendance sanitaire.

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BERTRAND LASSERRE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE THÉPENIER PHARMA & COSMETICS,
VICE-PRÉSIDENT DE CDMO FRANCE

©DR

« Comment faire de la France une nation européenne innovante et souveraine en santé ? Cette question essentielle se pose depuis que la pandémie de Covid-19 a révélé la dépendance de notre système de santé à l’égard de pays comme l’Inde ou la Chine. Sur ce constat, le gouvernement avait décrété l’industrie pharmaceutique “stratégique” et annoncé qu’il mettrait tout en œuvre pour rétablir notre souveraineté sanitaire. L’engagement a fait long feu. Rappelons que de premier producteur européen, la France est passée, en trente ans, à la quatrième position. L’innovation se fait massivement en dehors de la France, qui consacre moins de 3 % du PIB à la R&D. Ces chiffres traduisent à eux seuls le déclassement de l’industrie pharmaceutique hexagonale, faute de politique volontariste et ambitieuse des gouvernements successifs. Or, il n’y a pas, dans le monde, d’économie forte sans tissu industriel fort.

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 requiert un nouvel effort financier de 1 milliard d’euros de l’industrie pharmaceutique, auquel s’ajoute la clause de sauvegarde, estimée par le Leem à 2 milliards d’euros. Le budget du médicament, qui représentait 14 % des dépenses de l’assurance-maladie en 2010, est aujourd’hui tombé à 10 %. On en connaît les raisons…

Ces chiffres sont à mettre en perspective avec la transformation de l’industrie pharmaceutique, dont nos gouvernants refusent de prendre conscience. Pour se recentrer sur la R&D et le marketing, les big pharma ont largement délégué leurs productions ces dernières années à des laboratoires sous-traitants (ou CDMO), plus contraints dans leur modèle économique et leurs marges, qui n’ont pas les moyens de servir de variable d’équilibre pour “combler le trou de la Sécurité sociale” !

Le problème se pose surtout pour les médicaments matures, notamment génériques, dont les prix et les marges sont bas et le remboursement plafonné par le CEPS. Dès lors qu’ils se rapprochent de leur plafond, faute d’effort de remboursement décidé par le ministère de la Santé, comme dans cette période de forte inflation et de tension sur les approvisionnements, les laboratoires sont, de facto, encouragés à délocaliser ou, pire, contraints d’arrêter de produire. Ces évolutions sont en contradiction complète avec les relocalisation et réindustrialisation annoncées par le gouvernement, et une menace directe sur la production “made in France”. Nous avons besoin d’une véritable volonté politique et d’une vision à long terme pour arrêter l’hémorragie de médicaments essentiels ou d’API produits hors du territoire, conditions sine qua non de l’avenir de notre industrie et de l’indépendance sanitaire de la France !

Dans l’immédiat, cela doit se traduire par une revalorisation du prix des médicaments, couvrant le coût de l’inflation et de l’énergie, ce que CDMO France et l’AMLIS demandent, pour continuer de produire en France et assurer la survie des PME/ETI de santé et la pérennité de l’offre de génériques. Une autre piste serait que la France, ou plus probablement l’Union européenne, encourage la production locale via un crédit d’impôt production. Les patients ont eux aussi un rôle à jouer, en exigeant de consommer des produits fabriqués localement. Ce serait faire preuve de patriotisme économique, comme le font les consommateurs des produits cosmétiques. Mais à mon grand étonnement, personne en France ne semble s’enquérir du lieu de production des médicaments consommés sur le territoire ! »

Repere

Directeur général de Thepenier Pharma & Cosmetics
Vice-président de CDMO France
Administrateur de Polepharma
Membre du Leem

Article extrait du magazine Passerelles 82, pour consulter le dernier numéro cliquez ici.