« Montrer très tôt la beauté du métier industriel »

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Thierry Hulot, président de Merck France et du Leem

Engagée dans sa réindustrialisation, la France commence à créer les conditions propices pour devenir une championne dans les biotechs d’ici dix ans. Un momentum à ne pas laisser passer, selon Thierry Hulot grâce à l’impulsion donnée par France BioLead, avec la nécessité de renforcer son attractivité pour attirer les investissements et les vocations.

La pandémie a-t-elle donné un nouvel élan au secteur ?

Thierry Hulot : Nous bénéficions, en cette période post-covid, d’une dynamique unique en faveur de l’industrie pharmaceutique et de la bioproduction. Pour la première fois en quarante ans, Emmanuel Macron a présenté un plan ambitieux pour réindustrialiser la France, accompagner l’investissement et l’innovation, et c’est une bonne nouvelle ! La pandémie a aussi montré le caractère stratégique de notre industrie avec la volonté de reconquérir un leadership et défendre notre autonomie sanitaire. Ces changements au long cours sont notables et contribuent à placer notre industrie et la bioproduction dans un virage à ne pas rater

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Quelles sont les initiatives concrètes ?

T. H. : Nous avons déjà cette feuille de route très encourageante portée par Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie, qui a été jusqu’ici notre meilleur ambassadeur dans le cadre de l’indépendance sanitaire. Un point important dans ce sens est la création de l’agence de l’innovation en santé, pilotée par Lise Alter, pour coordonner et aligner les services de l’État afin d’accélérer les mises sur le marché en biotech et bioproduction.

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Une autre avancée significative en décembre 2022 est le lancement de France BioLead, la filière de bioproduction française de biomédicaments dirigée par Laurent Lafferrère, comme catalyseur et porteparole des acteurs. Merck et le Leem figurent parmi les 15 membres fondateurs. France BioLead est le résultat de l’impulsion donnée par Emmanuel Dequier dans le cadre du Grand Défi Biomédicaments pour rassembler la filière et réfléchir à comment devenir un champion dans les biotechnologies.

Comment Merck s’insère-t-il dans cette dynamique ?

T. H. : En 2022 et 2023, nous avons renforcé nos investissements et notre empreinte industrielle sur le territoire. Nous avons doublé nos capacités de production de bioréacteurs en poches plastiques à usage unique à Merck Molsheim, en Alsace, faisant de ce site un hub européen sur une technologie d’avenir, en complément des États-Unis et de l’Asie. Nous avons également développé une plateforme de sous-traitance extrêmement flexible à Merck Martillac, en Gironde, pour la production d’anticorps monoclonaux et de protéines recombinantes. L’enjeu est de soutenir les premiers lots cliniques des sociétés biotech pour sécuriser l’industrialisation dans l’Hexagone. À cela s’ajoute la volonté de notre groupe d’innover sur les process. C’est la mission de notre centre de recherche sur les biotechs récemment inauguré en Suisse : trouver des moyens de produire à un rendement élevé, en optimisant les ressources et notre empreinte environnementale.

Comment l’entretenir au mieux ?

T. H. : L’industriel est un investisseur. Pour l’attirer en France, il faut lui assurer un retour sur investissement et un accès au marché français pour ses médicaments. Or, le budget voté par le Parlement pour les dépenses de santé est aujourd’hui inférieur aux besoins des concitoyens. La différence est remboursée par l’industriel au travers de la clause de sauvegarde, une taxe sur la croissance du chiffre d’affaires, qui est un des freins à l’attractivité du secteur avec, entre autres, une lourde fiscalité sectorielle et le prix des médicaments ! Ces sujets relèvent de la politique de régulation du médicament. Une mission interministérielle est en cours pour intégrer nos recommandations au prochain PLFSS 2024. L’enjeu est de ‘‘boucler la boucle’’ de la réindustrialisation en assurant une juste valorisation de l’innovation par son prix et d’en faciliter l’accès aux patients. Nous avons besoin d’un État qui se donne les moyens de ses ambitions.

Quels sont les enjeux pour la bioproduction aujourd’hui ?

T. H. : En bioproduction, on caractérise très tôt le process industriel d’une biomolécule. Il est essentiel pour cela de disposer d’un espace de rencontre pour comprendre les problématiques sur toute la chaîne de valeur. D’où l’intérêt de France BioLead. Un autre enjeu concerne les contraintes réglementaires encore mal connues des acteurs en stade précoce et, au-delà, la nécessité d’investir sur des montants qui ne sont pas neutres… Nous ne pourrons pas nous positionner sur tous les fronts. La première révolution des biotechs vise les anticorps monoclonaux, fréquemment utilisés dans les chimiothérapies aujourd’hui. On évolue vers la médecine personnalisée avec les cellules CAR-T en immuno-oncologie. La thérapie génique devient aussi de plus en plus une réalité pour des milliers de patients. Un dernier enjeu, et non des moindres, sera de trouver les compétences et de former au plus près des réalités industrielles et des besoins des sites de bioproduction pour préparer les métiers de demain, avec un objectif clair d’atteindre 10 000 postes dans les biotechs à l’horizon 2030.

Que recommandez-vous ?

T. H. : Nous vivons une situation paradoxale avec de nombreux postes dans notre industrie qui ne trouvent pas de compétences. Et pourtant, nous offrons des emplois qualifiés, avec des salaires supérieurs à d’autres secteurs comme celui du tertiaire, et des parcours professionnels diversifiés. Quiconque est entré dans une usine biotech est surpris par la modernité et l’efficacité de ses équipements de haute technologie à la pointe de l’innovation. La réindustrialisation nous place devant un défi extraordinaire d’ouverture et d’engagement. Nous devons montrer très tôt aux lycéens et étudiants la beauté du métier industriel pour créer de nouvelles vocations. C’est l’ambition du Groupe IMT et c’est fondamental si l’on souhaite être un champion dans les biotechs !

Propos recueillis
par Marion Baschet Vernet

En savoir en rose

Un des principaux investisseurs dans l’Hexagone

Leader dans les équipements et technologies biotech, Merck emploie 3 600 personnes en France sur 11 sites. Le groupe a investi près de 100 millions d’euros sur le territoire ces dernières années.

Repères – Thierry Hulot, président de Merck France et du Leem

– Président de Merck France et du Leem.
– Pharmacien de formation et de vocation, avec un parcours international de plus de vingt ans au sein de Merck en France, en Allemagne et en Suisse.
– Depuis le 5 juillet 2022, il a été élu à la présidence du Leem, l’organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France, dont la mission est de promouvoir l’attractivité industrielle de l’Hexagone et de conduire une politique de santé axée sur les besoins des patients.

Article extrait du magazine Passerelles 83, pour le consulter cliquez ici.