« Oui à la réutilisation des eaux de process pharmaceutiques ! »
En 2024, la SFSTP-Polepharma a lancé la Commission ReUse de l’eau dans les industries pharmaceutiques, cosmétiques et connexes, pilotée par Hervé Poitevineau (Galderma) et Éric Levacher (Groupe IMT), avec l’appui d’industriels comme Pierre Forman (Silab). Objectif : lever les freins, partager les solutions et impulser un changement durable.
Éric Levacher est directeur technique et HSE du Groupe IMT, administrateur de la SFSTP-Polepharma. Expert en technologies industrielles et qualité, il copilote la Commission ReUse de l’eau.
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Pierre Forman est responsable technique chez Silab, une entreprise cosmétique située à Saint-Viance, en Corrèze, spécialisée dans l’ingénierie d’actifs naturels.
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Comment présenter la Commission ReUse de l’eau de la SFSTP-Polepharma ?
Éric Levacher : La Commission ReUse est née d’un besoin concret exprimé sur le terrain. Confrontés à des restrictions d’eau de plus en plus fréquentes (arrêtés préfectoraux, contrôles de la DREAL), les industriels cherchent à agir en faveur de l’environnement. Forte de ce constat, la commission réunit une quinzaine d’acteurs de l’industrie pharmaceutique et cosmétique, et leurs fournisseurs, tous utilisateurs d’eau à exigence de qualité.
Son objectif : étudier comment récupérer, traiter et réutiliser jusqu’à 50 % des eaux usées issues des procédés industriels, au lieu de les rejeter, tout en respectant les normes strictes du secteur.
Quels sont ses objectifs ?
É. L. : La commission a deux objectifs principaux. Le premier, c’est de clarifier les règles : beaucoup pensaient que la réglementation bloquait la réutilisation de l’eau, mais en réalité, ce sont surtout des interprétations trop prudentes qui posaient problème. Le second, c’est d’aider concrètement les industriels en leur donnant une méthode claire pour identifier, trier, traiter et réutiliser leurs eaux usées. Avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), nous avons confirmé que la réutilisation de l’eau dans l’industrie est bien possible en France, comme c’est déjà le cas en Irlande ou en Belgique. Cependant, la mise en oeuvre d’analyses de risque et de moyens de maîtrise de la qualité représente un défi majeur.
Quel bilan peut-on dresser aujourd’hui ?
Pierre Forman : La commission nous a permis, chez Silab, de confirmer la validité réglementaire de notre projet de traitement et de réutilisation de l’eau, entrepris dès 2021. Nous avons suivi une démarche en trois étapes : cartographie des consommations, optimisation des usages, et développement d’un système de tri, traitement et réinjection des eaux issues du nettoyage industriel (NEP). La mise en service est prévue au second semestre 2025. Les échanges menés au sein de la commission nous ont permis de consolider notre approche technique et de renforcer notre confiance pour engager la phase d’industrialisation.
É. L. : La première restitution publique de nos travaux a eu lieu le 3 avril 2025 à Paris. Un article de synthèse est paru en juin dans la revue STP Pharma Pratiques de la SFSTP (n°4-2024). Notre travail est aujourd’hui reconnu par les instances réglementaires, notamment l’ANSM, et a été intégré dans les travaux nationaux portés par la Fédération française des industries de santé (FEFIS) dans le cadre du plan Eau. C’est une étape décisive qui marque notre contribution comme acteur de solutions concrètes pour la filière.
Quel intérêt pour un industriel comme Silab ?
P. F. : Dans notre activité cosmétique, le nettoyage des équipements est particulièrement consommateur d’eau. Bien que non soumis à des restrictions réglementaires strictes, nous agissons en faveur de la préservation de l’environnement. Le projet de réutilisation est un levier stratégique de performance industrielle et de RSE. Grâce aux travaux de la commission, nous avons pu valider la faisabilité, lever les doutes réglementaires et accélérer nos investissements. L’économie visée en eau représente environ 20 % de notre consommation actuelle à terme.
« L’objectif est d’offrir un référentiel de bonnes pratiques, partagé et validé, qui serve aussi bien les petites structures que les grands groupes. »
Quel impact sur la filière pharmaceutique et cosmétique ?
É. L. : La réutilisation de l’eau devient une solution attendue et crédible pour répondre aux objectifs gouvernementaux de sobriété : – 10 % de prélèvements d’ici 2030. Les instances – le Comité stratégique de filière (CSF) santé, la FEFIS, Les entreprises du médicament (Leem), l’ANSM – se sont saisies du sujet.
La SFSTP-Polepharma est identifiée comme force de proposition. Il s’agit maintenant d’accompagner la filière avec des méthodologies concrètes, des retours d’expérience et une vision harmonisée à l’échelle européenne.
Quelles sont les prochaines étapes ?
É. L. : Nous poursuivons nos travaux pour formaliser des guides opérationnels : comment identifier les sources de rejet, comment les trier, avec quels procédés les retraiter et dans quelles conditions les réutiliser en garantissant la qualité pharmaceutique.
L’objectif est d’offrir un référentiel de bonnes pratiques, partagé et validé, qui serve aussi bien les petites structures que les grands groupes.
P. F. : Le benchmark entre industriels est essentiel. Visiter des sites pionniers dans le domaine du ReUse, comme celui de Monin à Bourges, nous a permis d’optimiser nos choix technologiques. C’est la force de cette commission : partager, capitaliser, avancer ensemble.
Quelles incidences en matière de compétences et de formation ?
P. F. : La mise en place d’une filière de traitement nécessite des compétences spécifiques : réglementation, procédés, instrumentation…
Cela touche autant les services de maintenance, d’hygiène, sécurité et environnement (HSE) que ceux de la qualité. Nous avons dû recruter et former des profils techniques avec une forte sensibilité environnementale et réglementaire.
É. L. : Le Groupe IMT, en tant qu’organisme de formation, a lancé une enquête auprès des industriels pour cerner les besoins en compétences.
Résultat : les savoir-faire liés à la gestion de l’eau sont encore trop diffus et doivent être consolidés.
Nous développons actuellement des contenus adaptés pour les techniciens et ingénieurs, du bac au bac +5, afin de proposer des cursus spécialisés intégrant les enjeux réglementaires, techniques et de gestion de projet liés à la maîtrise environnementale orientée vers l’eau. À terme, cela pourrait déboucher sur de nouveaux cursus ou diplômes spécialisés. C’est un sujet en pleine évolution !
Propos recueillis par Marion Baschet Vernet
Extrait du magazine Passerelles 89, pour consulter le numéro complet, cliquez ici.