Le défi de la transition énergétique
Dossier réalisé par Marion Baschet Vernet
Face à l’urgence d’agir pour préserver le climat et les ressources, les laboratoires et façonniers pharmaceutiques poursuivent et accentuent leurs efforts en matière d’économies d’énergie, de décarbonation, de formation et de sensibilisation de leurs collaborateurs. Avec l’objectif d’embarquer l’ensemble de l’écosystème vers la neutralité carbone d’ici à 2050.
La question énergétique est au cœur des préoccupations de l’industrie pharmaceutique. Car le temps presse : les ambitions européennes sur le climat – comme la réduction des gaz à effet de serre dont l’objectif a été renforcé pour passer de – 40 à – 55 % d’ici à 2030 – imposent d’accélérer les projets de transition énergétique. Pour les laboratoires pharmaceutiques et leurs façonniers, la marche à monter est d’autant plus élevée que la donne a changé ces deux dernières années dans un contexte global d’inflation des coûts – et pas seulement de l’énergie – et de besoins d’investissements importants. «
Nous devons donc agir ensemble et vite dans cet effort en faveur de l’efficacité et de la sobriété énergétique », note Étienne Tichit, directeur général et Corporate Vice Président de Novo Nordisk France, qui pilote depuis mai dernier la feuille de route « décarbonation » pour la filière pharmaceutique. « C’est le défi de notre génération pour celles qui suivront. Parce que l’enjeu n’est pas seulement de développer de nouvelles capacités renouvelables, mais de décarboner l’ensemble du système énergétique existant, jusque dans ses usages », ajoute-t-il. Ce qui implique une transformation industrielle énorme pour les sites, qui doit s’effectuer en préservant la compétitivité, afin d’être « net zéro carbone » en 2050 – l’objectif des accords de Paris.
Mesurer, tracer et optimiser
Ces dernières années, les laboratoires et façonniers ont intensifié leurs efforts en matière de réduction de la consommation d’énergie. Au-delà de minimiser l’impact carbone des sites, l’enjeu est également d’améliorer la performance économique. Avec des précurseurs tels que les laboratoires Chiesi, reconnus comme société à mission labellisée B-Corp, qui déploient un modèle de développement durable et de valeur partagée dans l’objectif d’être carbone neutre dès 2035. « Nous avons engagé un vaste plan d’économies d’énergie pour diminuer nos consommations d’électricité et de gaz de deux points au minimum chaque année », souligne Franck Vilijn, directeur du site de Chiesi à Blois, qui produit et conditionne des sprays pour traiter les maladies respiratoires. Engagé depuis 2021 dans la certification ISO 50001, un modèle de management de l’énergie, Chiesi mesure et pilote ses consommations d’énergie en utilisant les outils de l’usine 4.0 au plus près des besoins de ses procédés de fabrication. En parallèle, les actions portent sur des axes concrets à impact positif (éclairages à basse consommation, système de détection de l’allumage, etc.) et sur la mise en place de nouveaux systèmes de pilotage (maintien d’une température des locaux à 19°C, mise à l’arrêt plutôt qu’en veille des moyens de production et outils numériques, etc.).
À Vouvray, les laboratoires Chemineau, spécialisés dans la sous-traitance de fabrication et le développement de spécialités pharmaceutiques, sont également entrés dans une dynamique d’amélioration continue de leurs consommations énergétiques. Cette filiale du groupe Anjac Health & Beauty a pour projet, en 2023, de centraliser la production d’eau glacée sur deux groupes froids (contre 27 aujourd’hui), en récupérant la chaleur produite par leurs compresseurs pour alimenter ses chaudières. Les laboratoires Chemineau travaillent également avec Suez à valoriser 99 % de leurs déchets. L’ambition est surtout de les réduire significativement à la source, notamment par la simplification et la rationalisation des emballages. « La volonté est de structurer la démarche et de communiquer efficacement sur les enjeux et les effets auprès des équipes pour susciter l’engagement de tous », note Grégory Taudon, responsable technique chez Chemineau à Vouvray.
De l’efficience à la décarbonation
Pour aller un cran plus loin, la transition énergétique implique de capitaliser sur les infrastructures existantes, de faire dès maintenant des choix ambitieux et d’investir massivement dans le développement d’énergies propres et renouvelables pour sortir des énergies fossiles. Ces actions s’inscrivent pleinement dans la démarche RSE des entreprises. « À Blois, Chiesi investit un million d’euros dans un projet photovoltaïque à 100 % production française pour couvrir 18 % de sa consommation énergétique à partir de 2023 », annonce Franck Vilijn, qui est également engagé avec le groupe IDEC sur une nouvelle extension visant à doubler la capacité de production de ses sprays à impact carbone minimum. « Nous menons une réflexion globale avec IDEC Energy pour intégrer la géothermie, l’éolien et le photovoltaïque dans la construction de nos bâtiments avec l’enjeu de soutenir les filières locales d’approvisionnement », pointe-t-il.
De son côté, Aspen Pharma, près de Rouen, étudie l’installation d’une chaufferie biomasse avec l’Ademe sur son site. « La vapeur nécessaire à nos procédés industriels est produite par le gaz, qui est notre principal émetteur de CO2 », reconnaît Jean-Christophe Marye, responsable senior sécurité et santé environnementale (SSE). Un autre projet, comme chez Chiesi, est d’installer 2 500 m² de panneaux solaires sur 4 900 m² de surface totale du site. L’investissement est de 450 000 euros. « La récupération de chaleur sur un bâtiment et l’énergie solaire devraient nous faire économiser 10 % d’énergie d’ici à 2024 », précise-t-il. Sur l’axe du transport, une opération pilote vise l’utilisation d’un camion-navette au diester (biodiesel), fourni par Saipol en Normandie. D’autres axes sont à l’étude avec la métropole de Rouen et les entreprises de la région, par exemple l’emploi de camions électriques ou à hydrogène, afin de diminuer l’empreinte carbone collectivement.
L’enjeu humain
Parce que chaque jour compte, l’industrie doit travailler de manière plus inclusive et considérer les spécificités locales pour aller davantage vers une production décarbonée et responsable. Point positif : l’État aide de plus en plus les entreprises à bouger (plan de relance, subventions de l’Ademe, etc.). C’est la mission également attribuée à Étienne Tichit d’insuffler une nouvelle dynamique d’innovation environnementale au sein des sites pour conduire la décarbonation de la filière. Mais au-delà des technologies, de l’accès aux financements et de la création de boucles vertueuses sur le territoire, le principal moteur de la transformation industrielle sera l’humain. C’est pourquoi les laboratoires Expanscience ont formé l’ensemble de leurs effectifs à la fresque du climat.
Chez Novo Nordisk, les employés sont invités à imaginer les solutions de demain au sein du laboratoire d’innovation accessible à tous « pour se former, tester et innover en continu sur le lieu de travail », selon Étienne Tichit. C’est aussi le moyen de faire évoluer les compétences et les savoir-faire spécifiques, notamment liés à la transition énergétique, de la maîtrise des flux aux nouvelles énergies décarbonées, jusqu’à l’écoconception des emballages. Bonne nouvelle : ce sont des sujets que le Groupe IMT a déjà intégrés dans sa formation initiale, au même titre que l’environnement, la RSE ou encore l’usine 4.0, au plus près de la réalité industrielle.
Quand le Groupe IMT associe formation et engagement durable
Conscient des impacts liés à son activité de formation au travers de ses 8 établissements sur le territoire (Tours, Évry, Val-de-Reuil, Dreux, Dijon, Lyon, Lille et bientôt Toulouse), le Groupe IMT a la volonté de renforcer ses engagements pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux. « Nous sommes en train de réaliser un bilan carbone en interne », souligne Hervé Galtaud, son directeur général. Trois axes majeurs de l’activité sont ainsi passés à la loupe : l’énergie (plus de 10 000 m² de bureaux et plateformes techniques), les mobilités de ses 5 000 apprenants et 120 salariés ainsi que le numérique. « Cela va nous permettre de comprendre sur quels axes agir en priorité pour diminuer notre impact carbone », ajoute-t-il. L’initiative s’inscrit dans le cadre d’un programme d’accompagnement par la région Centre Val de Loire, qui a déployé une démarche spécifique pour les organismes de formation avec un outil dédié pour évaluer leur empreinte. Le Groupe IMT sensibilise également son personnel, ses apprenants et formateurs, à privilégier les modes de
transport vertueux et les écogestes.
Les impacts environnementaux des médicaments
Les laboratoires Chiesi, à Blois, investissent dans des panneaux photovoltaïques installés sur la toiture pour convertir la lumière du soleil en courant électrique continu. Ceux-ci pourront ainsi alimenter 18 % de sa consommation énergétique à partir de 2023.
Le site chartrain de Novo Nordisk est alimenté à 100 % en énergies renouvelables avec de l’électricité verte, de la biomasse et du biogaz.
Les laboratoires Expanscience, à Épernon, étudient le recours à la biomasse et/ou la méthanisation, qui permet de produire de l’énergie renouvelable à partir des déchets organiques non dangereux
ENTRETIEN AVEC…
« La coopération locale permettra de contribuer à une résilience et une indépendance énergétique sur le territoire »
Comment décrire votre engagement en matière de sobriété énergétique ?
Cela fait presque vingt ans que les laboratoires Expanscience, spécialisés dans l’arthrose et les soins de la peau (Mustela), ont lancé une démarche volontaire et globale en faveur de la sobriété énergétique et de la décarbonation notamment. Nous sommes une société à mission, labellisée B-Corp, avec des engagements forts inscrits dans nos statuts. Nous avons souhaité également contribuer à la neutralité carbone planétaire à l’horizon 2050. C’est pourquoi nous allons diminuer drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre (GES) en suivant une trajectoire alignée sur la science (science based targets). Nous venons de la soumettre. Car il faut réduire avant de compenser.
Comment cela se traduit-il sur le site d’Épernon ?
Nous suivons un indicateur de réduction de nos consommations d’électricité et de gaz depuis 2010. En 2021, pour 100 unités produites, nous avons ainsi réduit notre consommation de gaz de 33,5 %, d’électricité (- 21 %) et d’eau (- 25 %). Pour contribuer à la neutralité carbone planétaire, nous prévoyons de diminuer nos GES à Épernon de 40 % entre 2019 et 2030. Dès 2023, nous allons réduire notre consommation d’énergie de 10 % par an, plus rapidement que ce que demande l’État (10 % sur deux ans). Nous avons déjà arrêté deux chaudières sur trois. Le plus gros chantier concerne la réduction du gaz, qui constitue 70% de notre consommation pour la chaleur. Nous avons déposé un dossier d’aide financière auprès de l’Ademe pour avoir les moyens d’accélérer. Les projets en cours permettraient de réduire la consommation de gaz de 20 % par an (et de 20 % les GES).
Au-delà de la réduction, quelles sont les actions envisagées pour décarboner le site ?
Nous sommes en train de faire des études pour diversifier les sources d’énergie et combiner les solutions. Nous prévoyons d’intégrer 10 % de gaz vert en 2023 et 20 % en 2024. Parmi les autres axes, il y a la biomasse et/ou la méthanisation. Mais cela sous-entend de réaliser des investissements lourds et d’encourager des initiatives collectives dans le cadre du territoire. À l’avenir, la priorité est de décarboner, mais aussi « dérisquer » et diversifier les sources d’énergie en les rendant les plus locales possible.
Quelle est la prochaine étape ?
Nous pourrions aller plus loin dans l’objectif de réparer les écosystèmes, séquestrer le carbone dans les sols, réintroduire la biodiversité dans une usine, créer des boucles locales de coopération sur l’énergie, etc. C’est l’ambition de notre plan impACT RSE à vingt ans. Passer en quelque sorte de la responsabilité à la contribution en devenant une entreprise à impact positif, régénératrice. Ce qui induit une évolution dans la manière de collaborer en interne, mais aussi en externe. Exemple : nous sommes impliqués dans la Convention des entreprises pour le climat, et nous coopérons par ailleurs via un consortium (Pulp in Action) avec 14 entreprises cosmétiques pour essayer de trouver des alternatives vertueuses au plastique dans les emballages cosmétiques. Une autre façon d’innover !
Les 4 priorités des laboratoires Expanscience
– Avoir une approche fondée sur la science (SBT)
– Diminuer les gaz à effet de serre de 40 % entre 2019 et 2030 sur son site d’Épernon
– Diversifier les sources d’énergie : gaz vert, biomasse et/ou méthanisation
– Développer les synergies, qu’elles soient locales autour d’Épernon, ou sectorielles avec d’autres acteurs
« Une feuille de route pour atteindre la neutralité carbone »
Étienne Tichit, directeur général et Corporate Vice Président de Novo Nordisk France, s’est vu confier l’élaboration d’une feuille de route « décarbonation » pour l’industrie pharmaceutique. L’objectif est d’atteindre un objectif de production décarbonée et plus responsable.
Novo Nordisk est souvent présenté comme un précurseur en matière de transition énergétique. Est-ce lié à votre culture danoise ?
Certes, il y a la culture danoise de notre entreprise qui a presque 100 ans et notre site de Chartres, qui est spécialisé dans la production de cartouches et de flacons d’insuline, ainsi que dans l’assemblage et le conditionnement de stylos injecteurs préremplis. L’objectif est de créer un modèle durable, soutenable et résiliant fondé sur trois piliers : la performance, les personnes (people en anglais), la planète. Nous travaillons à être plus performant à chaque étape de l’activité, de la R&D à la production, jusqu’à la récupération de nos stylos injecteurs jetables, avec le lancement en France de notre programme pilote ReturpenTM. Ce modèle engage toute l’organisation y compris l’ensemble de nos collaborateurs, qui sont parties prenantes des décisions et de leur mise en œuvre.
Avec quels exemples concrets aujourd’hui ?
Cette recherche de circularité nous incite à revisiter l’ensemble de nos activités afin de limiter la consommation de ressources ainsi que la production de déchets. Notre site de Kalundborg au Danemark est ainsi un modèle de circularité étudié dans les écoles, fondé sur une production raisonnée et redistributive pour le collectif. Exemple : nous avons besoin de fermentation à base de sucre pour faire tourner les bioréacteurs et produire l’insuline. Les substrats rejetés dans la nature servent d’alimentation pour les porcs. Et comme ces fermenteurs doivent être refroidis, l’eau chaude intégrée dans les circuits sert à chauffer toute la ville de Kalundborg !
Quelle est votre approche de la décarbonation à Chartres ?
Nous avons d’abord identifié les premiers gisements de carbone sur lesquels obtenir des gains rapides, et priorisé les investissements pour adresser les plus importants. C’est ce qui nous a permis d’investir dans une chaudière biomasse pour être plus autonome sur le plan énergétique. Une solution qui se révèle aujourd’hui pertinente pour la décarbonation, mais aussi dans le contexte inflationniste de l’énergie.
Quelle est votre ambition pour la filière à ce sujet ?
C’est d’abord de déployer une démarche collective avec la DGS, la DGE, l’Ademe, des organisations expertes comme le Shift Project, et les institutionnels du secteur : Leem, Sicos, CDMO France, Polepharma, Grepic, etc. L’objectif est d’élaborer une feuille de route opérationnelle qui nous permette de tenir les engagements des accords de Paris, à savoir baisser de 50 % nos émissions de CO2 d’ici à 2050. Des instruments de mesure sont en cours d’élaboration avec le Leem, qui a lancé une enquête sur l’évaluation de l’impact carbone de l’industrie au travers de CarbonM, son outil de calcul du bilan carbone.
Quelles seront les conditions du succès ?
Les planètes sont alignées aujourd’hui pour aller vers la transition énergétique, mais il faut créer les conditions pour la faciliter dans un contexte mondial compliqué. Si la santé est stratégique, pourquoi ne pas avoir des matières premières à prix capés ou avec un accès facilité ? L’enjeu est également d’embarquer les individus – à long terme – à prendre soin de l’eau, décarboner la planète, etc. Concrétiser cette transformation appelle à créer de nouveaux métiers et faire évoluer les compétences, notamment technologiques – par exemple pour aller vers plus d’écoconception et de recyclage des produits, dans le sens d’une plus grande responsabilité environnementale. Cela donnera aussi plus de sens à nos actions au quotidien !
Quatre axes prioritaires pour la feuille de route
– Identifier les principaux gisements de CO2 de l’industrie
– Mettre en place des technologies matures pour diminuer notre empreinte
– Accompagner au travers de mesures incitatives (crédits d’impôt, etc.)
– Aller vers plus de sobriété industrielle (énergie, eau, etc.)
La sécurité santé environnementale (SSE), une fonction de plus en plus stratégique
Sur un site industriel, le responsable SSE veille à la protection de la santé et à la sécurité des salariés. Une préoccupation environnementale intégrée depuis toujours à la vie des sites, encadrée par des processus stricts qui permettent de maîtriser les rejets dans l’air et l’eau, sous la supervision des autorités, notamment la Dreal. « Un autre volet est devenu essentiel sur le réchauffement climatique et la réduction de l’impact carbone », souligne Jean Christophe Marye, responsable senior SSE sur le site normand d’Aspen Pharma. Sa fonction est aujourd’hui rattachée à la direction technique. Elle devient ainsi de plus en plus importante et transversale, puisqu’en relation avec tous les services du site, pour atteindre les objectifs en matière d’environnement, d’énergie et de santé et sécurité. Trois axes sur lesquels Aspen Pharma s’améliore en continu en s’appuyant sur les normes ISO 14001 (modèle de management de l’environnement), ISO 50001 (énergie) et ISO 45001 (santé et sécurité).
Dossier extrait du magazine Passerelles 82, pour consulter le dernier numéro cliquez ici.