« La production en continu est l’avenir des biomédicaments »

En septembre dernier, Christelle Dagoneau a rejoint Just-Evotec Biologics, filiale de produits biologiques d’Evotec. Un groupe de recherche « unique en son genre » selon elle, fondé sur la science, la diversité des technologies et la collaboration. Le campus Curie, à Toulouse, sera la base européenne de son expertise biologique autour du concept J.POD® d’usine du futur avec l’ambition de favoriser l’accès aux médicaments.

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©DR Christelle Dagoneau, vice-présidente commerciale de Just-Evotec Biologics

Repères :

Vice-présidente senior chargée du développement de l’activité commerciale chez Just-Evotec Biologics, filiale biologique d’Evotec, depuis septembre 2021. Un parcours de 20 ans dans la sous traitance de produits biologiques et thérapies cellulaires en Europe et dans le monde : Catalent Pharma Solutions, Amatsi et PX’Therapeutics. Titulaire d’un doctorat en chimie organique et d’un Mastère en management de la technologie à Grenoble École de Management.

Quelle est la spécificité d’Evotec ?
Christelle Dagoneau : Evotec a multiplié les rachats de sociétés de services et de sites en majorité pharmaceutiques, pour créer un groupe unique en son genre dans la découverte et le développement de médicaments.
Nous avons institué un esprit partenarial très fort avec les jeunes entreprises biotech et Big Pharma, au travers de collaborations qui vont de l’offre de services au codéveloppement avec prise de risque partagée.
L’idée est d’accélérer les projets et d’être partie prenante des succès. Evotec dit souvent qu’elle a le plus large portefeuille de biomédicaments au monde. Notre expertise porte à la fois sur les « petites » molécules, les produits biologiques avec notre filiale Just-Evotec Biologics, ainsi que la thérapie génique et cellulaire. Elle utilise par exemple, très en amont, la technologie des cellules pluripotentes induites (iPSC) pour la modélisation des maladies.

Quel est votre secret pour accélérer les développements ?
C. D. : Nous avons deux usines à Seattle et Redmond, aux États-Unis. La plus récente, inaugurée en août 2021, s’appelle J.POD® et concrétise un concept d’usine du futur qui permet de booster à la fois la productivité et la qualité pour les biomédicaments.
Nous exploitons la technologie de production en continu à partir d’un procédé de perfusion (complémentaire au fed batch). Nous travaillons à partir de petits bioréacteurs, et notre plateforme permet de maîtriser la mise à l’échelle de 2 à 500 ou 1 000 litres maximum, des volumes correspondant aux besoins cliniques et commerciaux.
Pour démultiplier les capacités, nous allons ajouter de nouvelles suites de production (PODs) et les faire tourner en parallèle (scale-out). En utilisant un même procédé de production et un même volume de bioréacteur, et ce au sein de la même usine, nous sommes ainsi capables de produire de 10 kg à 1 tonne de produit en faisant du scaleout.

Comment viennent s’ajouter l’IA et le machine learning ?
C. D. : Avoir des bioréacteurs plus compacts et un design innovant de suites de production permet de diminuer la surface de l’usine. À cela s’ajoutent l’automatisation, les big data, le machine learning et l’IA pour diminuer les coûts. Toutes les étapes de production sont connectées et s’adaptent en continu, de la culture cellulaire à la formulation, sur une même chaîne. Nous avons besoin de moins d’opérateurs pour gérer ces suites de production. Nous gagnons aussi en qualité, en particulier sur les protéines sensibles à la dégradation.
Avec la technologie de perfusion, les anticorps ou protéines restent seulement deux à trois jours dans le milieu de culture avant de partir en purification et filtration, contre quatorze à dix-sept jours en temps normal. Les milieux de culture sont changés tous les deux jours, générant aussi moins d’impuretés.

Quelles perspectives cela ouvre-t-il ?
C. D. : J.POD® permet de produire de manière compétitive et avec une qualité supérieure tous les profils de protéines, y compris les plus fragiles sur lesquels la mise à l’échelle est délicate voire un frein. Avec la possibilité de démultiplier ces suites de production de manière réactive et flexible, selon les besoins. Si nous anticipons des capacités en hausse, nous pouvons ajouter des suites de production en douze mois, voire dupliquer l’usine entière en dix-huit mois, sachant que chaque usine possède une capacité de 1 à 2 tonnes en fonction du rendement associé à la molécule produite.
Nous construisons ainsi l’usine sur de l’espace. Et dès que notre transfert de technologie sera réalisé à Toulouse, nous pourrons le dupliquer ailleurs, et c’est l’objectif !

Où en êtes-vous à Toulouse ?
C. D. : La mise en place de J.POD® II a été accélérée durant la pandémie. L’usine sortira de terre début 2024. C’est un duplicata du J.POD® I américain, qui débutera sur le même concept avec deux suites de production dédiées aux projets de type anticorps standards, bispécifiques ou protéines de fusion. L’intérêt est aussi d’offrir une flexibilité de réseau à nos partenaires. Une supply chain « Europe / États-Unis » fait sens aujourd’hui. Le transfert d’une CDMO à une autre ne sera plus un sujet sensible.

Comment voyez-vous l’avenir ?
C. D. : Notre objectif est de développer un réseau mondial de J.POD® en démultipliant nos sites au sein du groupe Evotec ou via une installation d’unités J.POD® directement chez nos partenaires.
Les technologies ont démontré leurs réactivité, flexibilité et rapidité de déploiement. Nous avons un rôle à jouer pour défricher le marché de niche de la production en continu en perfusion, et le démocratiser à tous les types de molécules. Le but, une fois que nos usines seront à 100 % de capacité, sera de répercuter l’abaissement des coûts à nos partenaires pour stimuler le marché des biologiques et l’accès aux patients.

En savoir +

Plusieurs scénarios et partenaires en recherche clinique
Le groupe Evotec collabore aussi bien avec les jeunes entreprises biotech qui démarrent, que les Big Pharma sur des projets cliniques avancés ou la nécessité de revisiter un procédé pour le rendre plus efficient sur des molécules « nouvelle génération ». Parmi ses partenaires actuels : des organisations financées par l’État (le ministère américain de la Défense et la Fondation Bill & Melinda Gates), de nombreux industriels (Merck MSD, Bayer, Boehringer Ingelheim, UCB, Takeda, Novo Nordisk, etc.) et des sociétés biotech (Celgene, Exscientia, EQRx, OncoResponse, etc.), et cela sur toutes les thérapies (oncologie, douleurs, diabète, etc.).

Propos recueillis par Marion Baschet Vernet.

Article extrait du magazine Passerelles 80, pour lire le numéro complet, cliquez ici.