Réguler l’IA, c’est aussi innover

L’intelligence artificielle (IA) promet de révolutionner la prévention, l’accès aux soins et l’efficacité des traitements. Dans la foulée du Sommet pour l’action sur l’IA, à Paris en février 2025, David Gruson insiste sur la nécessité d’une régulation positive, où l’innovation sert un projet collectif et le progrès humain.
L’intelligence artificielle marque-t-elle une nouvelle ère dans la santé ?
David Gruson : Oui, l’IA bouleverse déjà le système de santé et promet, à terme, d’améliorer la prévention et l’accès aux soins. En radiologie et en oncologie, elle révolutionne l’analyse d’images et renforce le dépistage des cancers : sein, côlon, ou le mélanome et le carcinome en dermatologie. De nouvelles applications émergent également en santé mentale et pour accompagner le vieillissement. L’IA générative, quant à elle, optimise les fonctions support pour la gestion des dossiers médicaux et accélère la recherche clinique, tandis que la modélisation et la simulation informatiques pourraient diviser par deux le temps de développement des médicaments… Autant d’avancées qui suscitent un engouement mondial et attisent la compétition technologique. Mais, face à cette révolution, un défi de taille se pose : encadrer ces innovations pour éviter l’émergence d’un « Netflix de l’IA en santé » où les données médicales deviendraient une marchandise. La question de la souveraineté numérique est plus que jamais au cœur des enjeux, entre régulation et course à l’innovation.
« Face à cette révolution, un défi de taille se pose : encadrer ces innovations pour éviter l’émergence d’un “Netflix de l’IA en santé” où les données médicales deviendraient une marchandise. »
La France joue-t-elle un rôle majeur dans ces avancées ?
D. G. : Avec une stratégie IA lancée dès 2018 et une feuille de route numérique en santé (2023-2027), la France affirme son ambition pour une IA éthique et souveraine. Lors du Sommet pour l’action sur l’IA en février 2025, le ministre de la Santé a dévoilé les grandes lignes d’une stratégie IA et santé, dont la feuille de route est attendue avant l’été.
L’Hexagone mise sur des applications stratégiques, en privilégiant l’IA de spécialité et les cas d’usage à forte valeur ajoutée, notamment dans la gestion des dossiers médicaux, appelée à devenir une norme incontournable. Dans cette dynamique, le gouvernement soutient des initiatives souveraines comme Dalvia Santé, un projet porté par La Poste Santé & Autonomie, en collaboration avec des acteurs français tels que Mistral AI et le cloud sécurisé NumSpot. Dans l’Hexagone, l’écosystème des concepteurs et développeurs d’outils d’IA a atteint un haut niveau de maturité, soutenu par des structures comme PariSanté Campus et Future4Care. Un signal fort vient également du terrain : selon un sondage du Healthcare Data Institute réalisé en 2023, 70 % des médecins français se déclarent déjà à l’aise avec l’intégration de l’IA dans le soin.
« France 2030 prévoit de former 140 000 professionnels et 500 000 en cinq ans, avec le lancement de 15 nouveaux masters dédiés à l’IA appliquée à la santé. »
Quelle voie est choisie pour réguler l’IA ?
D. G. : Le Sommet de Paris a mis en lumière la fracture entre les ÉtatsUnis, où l’IA évolue sans entrave sous la seule impulsion du marché, et l’Europe, qui mise sur une régulation stricte pour encadrer son développement face aux défis globaux – sécurité, biais algorithmiques, exploitation des données. Avec l’IA Act, basé sur la loi française de bioéthique, l’Union européenne impose un contrôle humain sur les systèmes à haut risque, notamment en santé. Les échéances sont fixées : l’IA générative devra être conforme dès août 2025, tandis que les dispositifs médicaux intégrant l’IA suivront en 2027. Le niveau de risque déterminera les obligations réglementaires, avec des sanctions pouvant atteindre 7 % du chiffre d’affaires mondial en cas de non-respect. Plutôt qu’un frein, l’IA Act pourrait devenir un atout compétitif. De nombreuses entreprises – notamment dans la pharma, la banque ou l’assurance – anticipent déjà les nouvelles règles et structurent leur gouvernance pour allier conformité et innovation. En apportant un cadre clair et exigeant pour une culture avancée de la gestion des risques, l’Europe oriente les développements vers une IA plus éthique, mieux maîtrisée et plus rapidement adoptée, où l’innovation reste au service d’un projet collectif et de l’avancement humain.
Quelles sont les prochaines étapes ?
D. G. : Face à l’essor de l’IA en santé, il faut anticiper dès maintenant la mise en place du cadre réglementaire. Depuis juillet 2024, Ethik-IA propose une méthodologie d’accompagnement des acteurs de l’IA, conforme à la norme Afnor Spec 2213, et développée avec le Leem et le Snitem, pour garantir un suivi continu de la qualité et des risques. Des partenariats sont déjà en place avec des fabricants dans les domaines de l’oncologie, la radiologie et les soins dentaires. Un autre axe clé est la formation au numérique, notamment sur l’IA, qui devient obligatoire dans la plupart des études de santé. L’ambition est de développer ces enseignements pour le 3e cycle et la formation continue.
Dans le cadre de l’AMI « Compétences et métiers d’avenir », France 2030 prévoit de former 140 000 professionnels et 500 000 en cinq ans, avec le lancement de 15 nouveaux masters dédiés à l’IA appliquée à la santé. Une montée en compétences essentielle pour encadrer et optimiser l’intégration de ces technologies.
Comment intégrer ces innovations au quotidien ?
D. G. : Pour aller plus loin, il est essentiel de développer des protocoles intégrant à la fois l’IA et l’expertise humaine afin de favoriser une médecine connectée, plus participative et préventive. La majorité des avancées suivent une approche bottom-up, s’adaptant aux besoins et aux réalités du terrain. Plusieurs initiatives illustrent cette évolution. En collaboration avec les CHU et les professionnels de santé, le projet Icope de l’OMS, soutenu par La Poste Santé & Autonomie, permet de dépister les fragilités des seniors à domicile grâce à un questionnaire digitalisé (via les infirmiers, kinésithérapeutes…) réduisant ainsi les hospitalisations inutiles. Des outils d’aide au diagnostic se développent également pour accompagner les soignants. Au Portugal, par exemple, des infirmiers utilisent l’IA sur leur smartphone pour détecter les mélanomes, avec une validation par un dermatologue sous 24 heures. Ces innovations doivent être déployées de manière stratégique afin d’en maximiser les bénéfices et assurer un accès équitable pour tous.
Repères
Diplômé de l’ENA et de l’EHESP
Directeur du programme « Santé à domicile » de La Poste Santé & Autonomie
Ancien conseiller du Premier ministre chargé de la santé, il a dirigé le CHU de La Réunion et occupé le poste de délégué général de la Fédération hospitalière de France.
Professeur à la chaire de santé de Sciences Po, il a fondé Ethik-IA, une initiative dédiée à la régulation de l’IA et de la robotisation en santé.
Ses travaux ont contribué aux missions de Cédric Villani, de France Stratégie, et à la révision de la loi de bioéthique.
Pour aller plus loin
• « IA et santé : pourquoi l’action publique ne peut plus attendre » (Terra Nova, Ethik-IA, 3 juillet 2024).
• « Mettre l’intelligence artificielle au service de la santé » – État des lieux des actions engagées en matière d’intelligence artificielle en santé pour accélérer l’innovation (ministère chargé de la santé et de l’accès aux soins, février 2025).
Propos recueillis par Marion Baschet Vernet.
Extrait du magazine Passerelles 88, pour le consulter, cliquez ici.