« Un nouvel élan pour les laboratoires (bio)pharma »
Laurence Peyraut est le nouveau visage du Leem depuis quelques mois. Femme de conviction, elle souhaite donner une nouvelle impulsion aux entreprises du médicament pour construire le système de santé de demain autour de valeurs fortes et pérennes.
Je suis optimiste sur notre capacité à relever les défis, mais il y a urgence à régler les sujets d’accès à l’innovation et à redonner un souffle économique à notre secteur.
Laurence Peyraut, directrice générale du Leem.
Quel constat dressez-vous sur l’industrie (bio)pharma en l’espace de quelques mois ?
Laurence Peyraut : Ce qui m’a frappée pendant mes premiers 100 jours, c’est un paradoxe : j’ai constaté un grand écart entre la force d’un secteur à la pointe de l’innovation et sa fragilité économique. Avec nos 271 sites de production pharmaceutique, dont 32 de bioproduction, et des entreprises de toute taille, nous sommes engagés avec dynamisme dans la réindustrialisation et l’autonomie sanitaire française et européenne. Non seulement ce secteur est créateur d’emplois qualifiés dans tous les territoires (16 000 recrutements en 2022, soit + 2,7 %, contre 1,3 % pour l’ensemble de l’industrie), mais il attire également les investissements (3,7 milliards d’euros en 2023), qui permettent à de nouvelles usines ou lignes de production de sortir de terre, ou à des sites entiers de s’engager dans la modernisation, la digitalisation ou le verdissement de leurs process.
Notre appareil industriel est riche de nombreux atouts : il faut les cultiver et les valoriser davantage auprès des pouvoirs publics, pour qu’ils n’oublient pas leur rôle stratégique pour l’économie française et qu’ils les protègent en conséquence. Je m’y attelle chaque jour depuis mon arrivée !
À la veille des élections du Parlement européen, nous devons avoir une stratégie de santé coordonnée pour assurer la souveraineté sanitaire. La France peut montrer l’exemple et faire des propositions pour construire une Europe forte.
Laurence Peyraut.
En quoi sommes-nous à l’aube d’un nouveau paradigme dans la santé ?
L. P. : Préserver un écosystème industriel, économique et éducatif compétitif demande de l’anticipation. Nous sommes à un carrefour de transformations dans la santé : évolutions sociétales majeures (augmentation et vieillissement de la population, chronicisation des maladies, amélioration des systèmes de santé), urgence climatique qui nous impose la transition écologique, révolution numérique et adaptations organisationnelles, et grandes innovations de ruptures porteuses d’espoirs immenses (thérapies géniques et cellulaires, médecine personnalisée).
Malheureusement, la concurrence est une réalité avec les géants mondiaux (Chine et États-Unis) et les autres pays européens. Nous arrivons au bout d’un système de régulation et de financement, qui ne permet plus d’accueillir les innovations thérapeutiques dans les meilleures conditions dans notre pays, ni d’assurer pleinement l’accès aux médicaments indispensables au quotidien. C’est l’heure d’un New Deal pour l’économie des produits de santé, tel que recommandé par le rapport de la mission « Régulation des produits de santé » en août 2023.
Quelles sont les actions prioritaires à mener pour le secteur ?
L. P. : Face aux défis des transitions à mener, le Leem a défini une feuille de route claire, exigeante et ambitieuse pour le secteur autour de trois piliers : souveraineté sanitaire, soutenabilité économique, et responsabilité sociétale. Assurer l’accès de chacun aux traitements dont il a besoin passe concrètement par deux priorités : lutter contre les pénuries et promouvoir le bon usage, en particulier auprès des personnes âgées.
Mais pour relever ces défis majeurs, il faut que toutes les entreprises soient soutenables économiquement, des plus petites aux plus grandes, celles qui produisent les produits les plus
anciens, comme les plus innovantes. Dans un contexte de forte dégradation des comptes publics, l’enjeu prioritaire est de nous assurer du soutien de l’exécutif dans la mise en oeuvre du New Deal en amont du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale et de la renégociation de l’accord-cadre entre le Leem et le Comité économique des produits de santé.
Nous mènerons ces actions en assumant les transitions nécessaires au secteur – numérique, environnementale, sociale – en étant force de proposition. J’y tiens, car pour être un acteur de santé publique, nous devons agir en toute responsabilité. Nous continuerons de mener un dialogue social innovant afin d’embarquer le collectif vers des accords structurants, comme en 2023 sur la transition écologique ou en 2024 sur les aidants.
Quelles seront, selon vous, les conditions du succès ?
L. P. : Notre succès dépendra de notre capacité à penser au-delà de nos frontières, qu’elles soient géopolitiques ou sectorielles. Au coeur de tous ces chantiers, il y a l’Europe. À la veille des élections du
Parlement européen1, nous devons avoir une stratégie de santé coordonnée pour assurer la souveraineté sanitaire. La France peut montrer l’exemple et faire des propositions pour construire une Europe forte.
C’est pourquoi je porte la voix du secteur auprès des autorités et des associations industrielles (EFPIA, IFPMA). Le Leem est moteur mais la coordination de tous les acteurs sera essentielle, par exemple dans la mise en oeuvre du New Deal, qui devra se faire avec tous les acteurs de santé, industriels, pouvoirs publics et professionnels de santé.
Comment comptez-vous faire la différence pour atteindre vos objectifs ?
L. P. : Ma méthode, c’est le dialogue.
Le dialogue avec toutes les parties prenantes. Nous avons présenté notre feuille de route aux administrations et au nouveau gouvernement.
Mais pour coconstruire, il faut savoir sur quoi on veut agir : c’est pourquoi sur toutes les dimensions stratégiques de notre feuille de route, nous allons partager – en open source quand c’est possible –
les données que nous collectons depuis des années au Leem, qui montrent que la France est un pays
déjà attractif, mais qui peut l’être encore plus : accès, essais cliniques, fiscalité, emploi, transition écologique, réputation…
Rendez-vous cet été pour découvrir ce faisceau d’indicateurs à 360° et savoir sur quels leviers nous pouvons agir !
Quelle ambition avez-vous pour ce secteur ?
L. P. : Notre mission est de prévenir, soigner, sauver des vies, de manière éthique et responsable. Une mission exigeante et à même de nous
porter pour redevenir leader de l’innovation
en santé, et contribuer à construire une France forte dans une Europe forte !
Qu’est-ce qui vous inspire et vous rend confiante pour l’avenir ?
Curieuse de connaître ceux qui sont à l’oeuvre dans nos entreprises, je suis allée à la rencontre des équipes de 12 sites industriels ces dernières semaines. J’y ai échangé avec des équipes ouvertes, dynamiques, talentueuses, qui intègrent les préoccupations de la société actuelle.
Nous avons les compétences, nous avons la volonté – autant du côté du gouvernement que des industriels.
Je suis donc optimiste sur notre capacité à relever les défis, mais il y a urgence à régler les sujets d’accès à l’innovation et à redonner un souffle
économique à notre secteur.
Repères
- Directrice générale du Leem depuis le 1er novembre 2023.
- Un parcours de trente ans à la direction de la communication, du marketing et de la RSE ou en tant que secrétaire générale au sein de grandes entreprises : Axa, Barclays, Roche et Danone, en France et à l’international.
- Vice-présidente d’Entreprises et Progrès, think tank d’entrepreneurs et de dirigeants qui s’engagent pour le progrès économique et social.
- Créatrice et ancienne coprésidente de Financi’Elles, première fédération de réseaux de femmes cadres de la finance.
- DESS marketing banque finance à l’université Paris X de Nanterre.
En savoir +
Plus de 280 entreprises dans l’Hexagone. Le Leem est le syndicat des entreprises du médicament en France spécialisées dans la R&D, la fabrication, l’exploitation et la distribution de médicaments à usage humain. Il compte plus de 280 organisations qui représentent près de 106 000 personnes et 150 métiers, avec 271 sites de production, dont 32 de bioproduction, sur le territoire national.
Propos recueillis par Marion Baschet Vernet.
Extrait du magazine Passerelles 85. Pour le consulter, cliquez ici !