« La stratégie décennale ouvre une nouvelle période d’espoirs et d’avancées concrètes »

prospectives commentaires LV HG
« La stratégie décennale s’articule autour de la mission première de l’Inca, qui est de structurer et consolider la recherche. »

Réduire de 40 % le nombre de cancers évitables d’ici à 2040, tel est le premier objectif de la stratégie décennale. Avec un budget en hausse de 20 % à 1,74 milliard d’euros sur cinq ans, cette stratégie ouvre une période d’avancées concrètes au service de tous, selon Thierry Breton, directeur général de l’Institut national contre le cancer (Inca).

Le cancer est-il toujours le « mal du siècle » ?

Thierry Breton : C’est un fait. On ne parle plus du cancer, mais « des » cancers. Cette maladie plurielle reste la première cause de mortalité, avec près de 382 000 nouveaux cas détectés chaque année et 157 400 décès. Environ 4 millions de Français « vivent avec » ou se sont remis d’un cancer. Une famille sur trois est touchée. Au final, l’impact est très élevé dans notre pays.

Quels axes avez-vous privilégiés dans la stratégie décennale ?

T. B. : Avec le vieillissement de la population, le nombre de cancers va continuer de croître. D’après nos études, 40 % d’entre eux pourraient être « évités ». La prévention est donc la priorité numéro un. Ce qui signifie s’attaquer sérieusement à la consommation de tabac et d’alcool, et travailler la participation aux programmes de dépistage. Dans le même temps, les progrès thérapeutiques sont importants avec une amélioration de l’espérance de vie à cinq ans. La réduction des séquelles est donc un axe renforcé pour améliorer la qualité de vie. Un troisième sujet est de lutter contre les cancers « de mauvais pronostic ». Un quatrième est de s’assurer que le progrès bénéficie à tous.

En quoi cette approche est-elle nouvelle ?

T. B. : La stratégie décennale – non plus quinquennale – donne le temps de l’action. Avec la possibilité, pour la première fois, de se fixer des objectifs quantitatifs, de réduire les priorités et de concentrer les moyens. Nous avons listé 234 mesures avec l’objectif de faire feu de tout bois sur chaque sujet pour obtenir un résultat optimal. Ce qui change également, c’est l’attention portée au service rendu aux patients, au monde de la recherche et aux professionnels de santé.

Quelle importance est donnée au partenariat avec les laboratoires pharmaceutiques ?

T. B. : Pour atteindre ces objectifs ambitieux, notre partenariat est vital et déterminant avec les industriels du médicament, qui ont un rôle majeur dans l’innovation en santé. En 2020, les anticancéreux concernaient 20 % des médicaments approuvés par l’Agence européenne des médicaments et un quart des essais cliniques. Nous travaillons à rendre l’Hexagone plus attractif pour la réalisation d’essais cliniques standards et précoces auprès des laboratoires anglo-saxons, très présents dans l’oncologie, mais également les biotechs et medtechs. Ces jeunes entreprises innovantes ont un fort besoin d’accompagnement, de l’innovation à la mise sur le marché. C’est un axe de travail avec France Biotech.

Comment voyez-vous évoluer ce partenariat ?

T. B. : Notre partenariat va continuer de se développer dans le cadre de la refonte actuelle de l’accès précoce par la Haute autorité de santé (HAS), mais aussi la mise à disposition des données publiques de santé. Aujourd’hui, on se donne les moyens de mettre en place des infrastructures utilisables à la fois par les académiques pour faire de la recherche clinique, mais aussi les industriels pour mener des collaborations visant à mieux comprendre l’utilisation des médicaments.

En Europe, le plan de lutte contre le cancer sera-t-il un appui ?

T. B. : Le plan de lutte européen prévoit d’engager 4 milliards d’euros dans la prévention, la recherche et le déploiement de traitements au sein de l’Union. Ce plan comporte également des dossiers importants sur la digitalisation, la transformation et le développement de services de proximité, notamment l’hôpital intelligent. Avec la Mission cancer dans le cadre d’Horizon Europe pour la recherche, la mobilisation est totale, en attendant le temps de la présidence française de l’Union, au premier semestre 2022, qui offre une nouvelle occasion d’accélérer le rythme.

Qu’est-ce qui nourrit votre optimisme pour l’avenir ?

T. B. : L’Hexagone peut compter sur l’excellence de sa recherche scientifique pour rester dans le peloton de tête de la lutte contre les cancers. Nous sommes le seul pays, en dehors des États-Unis, à figurer dans le Top 10 mondial des centres de recherche en santé avec l’Inserm et l’AP-HP.

 

Des objectifs quantitatifs :

  • Réduire de 60 000 le nombre de nouveaux cas de cancers à l’horizon 2040.
  • Augmenter la participation aux programmes de dépistage de 1 million en 2025 (passer de 9 à 10 millions). En particulier pour le cancer colorectal, dont le dépistage actuel se situe à 30 % alors qu’il est très efficace.
  • Réduire la proportion de malades qui souffrent encore de séquelles cinq ans après le diagnostic (en la faisant passer de deux tiers à un tiers d’ici à 2030).
  • Accroître les chances des patients ayant un cancer « de mauvais pronostic » (moins d’un tiers de probabilité de survie à cinq ans).

Repères :

  • Inspecteur général des affaires sociales (IGAS), Thierry Breton est directeur général de l’Institut national du cancer (Inca) depuis 2014. Il a piloté la mise en place du troisième plan cancer (2014-2019), avant de préparer et mettre en œuvre la stratégie décennale pour le cancer (2020-2030).
  • Il est coauteur de nombreux rapports d’évaluation des politiques publiques dont le bilan de la convention d’objectifs et de gestion de la Cnam, le contrat de retour à l’équilibre financier des hôpitaux, et l’élaboration de la première version du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens des agences régionales de santé.

Extrait du magazine Passerelles 78, pour consulter le magazine complet, cliquer ici.

Propos recueillis par Marion Baschet Vernet.