« La nécessité de reconnaître le fabriqué en France »

Philippe Truelle
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Philippe Truelle est aux manettes de CDM Lavoisier depuis
quinze ans. La PME familiale s’est positionnée sur le « fabriqué
en France » bien avant que ce sujet ne devienne la préoccupation
principale post-covid. Avec un modèle social et une spécificité
franco-européenne à valoriser aujourd’hui.

PDG des laboratoires CDM Lavoisier depuis mars 2007. Vice président de l’Amlis, après avoir présidé cette association des TPE-PME de santé et avoir été chef de file des PME au Leem de mai 2015 à 2021.
Ingénieur de formation spécialisé dans les nouvelles technologies (Esme Sudria). CDM Lavoisier est aussi membre du Grepic et de Polepharma.


« CDM Lavoisier a su traverser les crises en adaptant efficacement son modèle de proximité. »

Quelle est la spécificité de CDM Lavoisier dans la filière pharmaceutique ?

Philippe Truelle : Nous sommes – avant tout – une PME de santé française et indépendante. Nous réalisons 15,5 millions d’euros de chiffre d’affaires avec un effectif de 130 personnes. Notre entreprise familiale figure parmi les plus anciennes du secteur, fondée en 1888, avec un site industriel à La Chaussée-Saint-Victor, près de Blois. Nous exploitons une trentaine d’AMM considérées à 75 % comme des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM, tels que le chlorure de sodium, le potassium, la morphine sous format injectable, etc.) destinés aux médecins en ville et à l’hôpital (8 % seulement de l’activité à l’export). C’est une grande satisfaction de se dire que CDM Lavoisier a su traverser les crises en adaptant efficacement son modèle de proximité et en s’ouvrant à la sous-traitance depuis une quinzaine d’années pour LFB, Coloplast, Sanofi Pasteur, AP-HP, etc.

La crise sanitaire a-t-elle ébranlé votre modèle ?

P. T. : La pandémie s’est traduite par des vagues successives à la hausse et à la baisse de la demande, avec des pics d’un niveau exceptionnel à traiter en urgence par nos équipes.

Nous avons ainsi réorienté 70 % de notre production pendant plusieurs semaines sur des solutions injectables d’antalgique, en tension dans le monde, pour approvisionner l’hôpital en toute sécurité grâce à une chaîne de valeur locale, nationale et européenne. Malgré les tensions, nous avons lancé nos travaux d’augmentation de capacités avec une nouvelle ligne d’ampoules qui entrera en service au printemps 2023. Nos investissements ont été accélérés par le plan de relance. Nous avons pu garder le cap grâce à l’engagement de nos équipes – la force de notre PME – et à notre réseau de fournisseurs partenaires français et européens.

Quelle est la prochaine étape ?

P. T. : Nous sommes convaincus depuis toujours de la nécessité de soutenir, renforcer et développer les capacités existant sur le territoire. Conséquence directe de la crise sanitaire : nous sommes sollicités, presque toutes les semaines depuis un an, par des sociétés françaises et européennes à la recherche d’un nouveau fabricant. Ce sont des produits en petites et moyennes séries, que les grands faiseurs ne peuvent plus accueillir. Ce que nous attendons maintenant – enfin –, c’est une vraie reconnaissance du « fabriqué en France ».

Quelles difficultés rencontrez-vous ?

P. T. : Produire en France, en particulier dans une phase de très forte inflation, a un coût minimal notamment pour des médicaments bien établis, dits matures, essentiels et à prix abordable. Ce coût, aujourd’hui, n’est pas reconnu. Sur certains produits, les prix sont bloqués depuis une dizaine d’années. Et l’État voudrait encore les baisser, à coût constant pour les entreprises, mais cela n’est plus soutenable étant donné l’évolution de la technicité de certains médicaments ou encore des spécifications qualité et réglementaires. Rappelons que la sérialisation, qui a renforcé la sécurité des médicaments pour les patients, a impacté les coûts de production de plusieurs centimes d’euros par unité. Et pourtant, elle s’est faite sans revalorisation du prix du médicament.

Lors du dernier PLFSS*, des mesures positives ont été prises en faveur de la reconnaissance de la production locale dans le prix du médicament. Où en sommes-nous ?

P. T. : Cette possibilité a créé un certain nombre d’attentes et d’espoirs du côté des fabricants dont les produits bien établis, peu onéreux, pourraient être éligibles à cette réévaluation. Très peu de cas ont abouti. CDM Lavoisier a déposé un dossier pour sa spécialité de bicarbonate de sodium injectable, qui représente un million d’unités par an. C’est le médicament sur lequel l’écart entre le coût de production et le prix de vente aux grossistes-répartiteurs (1,40 euro) est le plus négatif. Il y a urgence à consolider le développement des PME de santé et reconnaître leurs atouts dans le cadre de notre indépendance sanitaire.

« Il y a urgence à reconnaître nos atouts dans le cadre de l’indépendance sanitaire. »

Quelle évolution est souhaitable dans l’immédiat ?

P. T. : Une demande répétée du Leem et de l’Amlis est d’avoir un pilotage unique du secteur, ce qui participerait également à élaborer une feuille de route claire, stable et adaptée pour nos entreprises. Nous dépendons actuellement de plusieurs ministères (Santé, Économie et Finances, Recherche) et, dans certains cas, de Matignon ou de l’Élysée. Ce qui crée un mouvement constant d’oscillation et de repositionnement, entraînant une instabilité réglementaire et fiscale extrêmement dommageable pour nos PME.

Quelle est la priorité actuelle pour CDM Lavoisier ?

P. T. : Dans cette phase de reconquête industrielle, nous sommes engagés dans des projets d’investissement. Il y a une accélération des besoins en ressources sur un certain nombre de métiers, qualifiés et non qualifiés, spécifiques à notre secteur. Pour certains profils en pénurie tels que celui de conducteur de ligne, la situation s’est encore dégradée. Il est donc indispensable que des structures comme le Groupe IMT, qui a été créé par les membres du Grepic au niveau local, puissent encore s’étendre et développer leurs capacités de formation pour soutenir la phase de montée en puissance de l’outil industriel pharmaceutique en France.

Propos recueillis par Marion Baschet Vernet.

En savoir +

Les PME de santé : un tiers de l’activité française
D’après le Panorama de l’Amlis, réalisé avec D&Consultants, les PME de santé contribuent à hauteur de 10,8 milliards d’euros au chiffre d’affaires du secteur, soit un tiers de l’activité en France, avec 24 000 employés sur le territoire. Plus de 70 % de la production est réservée aux patients et soignants dans l’Hexagone.

*Projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Article extrait du magazine Passerelles 81, pour consulter le dernier numéro cliquez ici.