Jouons collectif, comme en temps de crise !

Après une carrière dans le développement et la production de biothérapies, Thierry Ziegler s’est lancé dans l’entrepreneuriat tout en accompagnant des start-up innovantes. À l’intersection de la science et du business, il défend une innovation biopharmaceutique à la fois abordable et accessible.

Thierry Ziegler
Thierry Ziegler, cofondateur et directeur de BYORNA, consultant spécialisé dans l’accompagnement de start-up et expert pour BPIFRANCE

La pandémie a-t-elle changé la donne en matière d’innovation thérapeutique ?
Thierry Ziegler : La crise du Covid-19 a révélé le potentiel immense de l’ARN messager, fruit de soixante ans de recherche acharnée. Des pionniers comme Robert Langer, Ugur Sahin, Özlem Türeci, Katalin Karikó et Drew Weissman ont contribué à transformer cette technologie en une réalité thérapeutique, portée entre autres par Moderna et BioNTech. La pandémie a mobilisé des ressources inédites et poussé les autorités à accélérer les processus d’approbation. Pour pérenniser cette dynamique, il est essentiel de construire un modèle collaboratif alignant chercheurs, industriels et investisseurs afin de rendre les médicaments accessibles rapidement et à moindre coût au bénéfice des patients. Le terrain est fertile, et les avancées promettent de transformer durablement le paysage thérapeutique.

Comment décrire l’éventail des possibilités aujourd’hui ?
T. Z. : La pandémie de Covid-19 a accéléré l’essor des vaccins à ARN messager, mais aussi ouvert la voie à de nouvelles approches thérapeutiques. En tant qu’expert à la BPI, je constate un véritable boom des biothérapies innovantes, qu’il s’agisse des thérapies cellulaires, des vecteurs ciblés capables de transporter des molécules vers des organes spécifiques, ou encore des technologies de bioproduction visant à réduire les coûts tout en augmentant l’efficacité. Doxanano, par exemple, développe un anticancéreux sous forme de particules contenant un cytotoxique, entourées d’un polymère clivable par rayons X. Ce système libère le médicament uniquement au niveau de la tumeur, protégeant ainsi les tissus sains et réduisant les effets secondaires. La France se distingue dans cet écosystème en pleine expansion, avec des partenariats clés tels que OSE Immunotherapeutics avec Boehringer Ingelheim, Cellectis avec AstraZeneca, et Treefrog avec Vertex, montrant la reconnaissance internationale des biotechs françaises.

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Quels défis se posent au niveau de la bioproduction ?
T. Z. : Les expériences à l’interface entre recherche et industrialisation révèlent une réalité cruciale : les technologies de bioproduction doivent évoluer en phase avec les innovations thérapeutiques. Sans cela, les produits, bien que prometteurs sur le plan clinique, deviennent inaccessibles à grande échelle en raison de coûts prohibitifs. Les traitements basés sur les cellules CAR-T ou les vecteurs viraux en sont l’illustration, avec des coûts de traitement atteignant plusieurs centaines de milliers, voire des millions d’euros.

Pour relever ce défi, l’accessibilité doit être un moteur d’innovation. C’est l’objectif de ma société, bYoRNA, qui développe une plateforme de bioproduction d’ARN messager disruptive et plus efficace basée sur la levure.
Le recrutement d’experts qualifiés en bioproduction constitue un autre enjeu majeur. En France, de nombreux organismes de formation reconnus, comme le Groupe IMT ou l’ENSTBB, offrent une base solide. Une récente cartographie, mandatée par le Leem et l’ENSTBB, révèle l’existence de près de 200 établissements de formation de bac +2 à bac +3 impliqués dans la biotechnologie. Cependant, ce tissu éducatif doit être enrichi par un écosystème d’experts possédant entre cinq et dix ans d’expérience professionnelle, acquise dans des start-up, des grandes entreprises ou encore dans la recherche académique. Favoriser une collaboration entre ces profils variés – ingénieurs en génie des bioprocédés, chercheurs et industriels – est essentiel pour renforcer la compétitivité de la bioproduction française.

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Le dynamisme des biotechs françaises repose sur deux défis : transformer des idées en produits et construire un écosystème pour les soutenir jusqu’à leur mise sur le marché.

Comment se projeter aujourd’hui sur l’enjeu de souveraineté sanitaire ?
T. Z. : Le dynamisme des biotechs françaises repose sur deux défis : transformer des idées en produits et construire un écosystème pour les soutenir jusqu’à leur mise sur le marché. Des initiatives comme France BioLead, l’Agence de l’innovation en santé (AIS) et France 2030, ainsi que des financements nationaux et régionaux, renforcent cet éco-système. Les incubateurs locaux jouent aussi un rôle crucial dans l’accompagnement quotidien.
Cependant, pour réussir, il faut allier ancrage local et ouverture mondiale. La souveraineté industrielle en biopharmaceutique est essentielle, mais ne peut se faire isolément. Chez bYoRNA, nous avons commencé en France et explorons désormais les opportunités aux États-Unis, un marché clé pour nos produits. Ce sera également une étape incontournable pour Igyxos, spin-off de l’INRA, qui développe des anticorps pour lutter contre l’infertilité humaine.
L’objectif reste de mettre un médicament sur le marché rapidement, tout en garantissant son accessibilité à l’échelle mondiale.
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Quelles sont les évolutions souhaitables, selon vous ?
T. Z. : Deux ans après le lancement de la stratégie d’accélération des biothérapies, la France est parmi les leaders européens en essais cliniques. Cependant, pour transformer ces essais en médicaments produits en France, il faut aller plus loin. De nombreux projets échouent avant d’atteindre le marché, souvent en raison de mauvaises gestions ou stratégies et faute d’un soutien financier adapté, révélant une fragilité dans l’écosystème. Le passage à l’industrialisation reste un défi, nécessitant des investissements bien supérieurs à ceux nécessaires pour la phase clinique, et souvent impossibles à lever en France sans recourir à des financements étrangers. L’approche collaborative, comme celle observée pendant la pandémie, est essentielle pour surmonter ces défis et garantir la continuité, de l’idée à la commercialisation.

En tant que fondateur de bYoRNA, lauréat 2024 du concours d’innovation national i Lab de Bpifrance et bénéficiaire d’une subvention régionale de Nouvelle-Aquitaine, je mesure l’importance d’un soutien constant, financier, stratégique et surtout humain, pour relever les défis technologiques et économiques de nos entreprises.

La France possède les talents, les infrastructures et l’élan nécessaires pour réussir, mais pour convertir ces atouts en succès durable, il est crucial de jouer la carte du collectif jusqu’au bout !

Repères

Cofondateur et directeur technique de bYoRNA.
Consultant spécialisé dans l’accompagnement de start-up chez Humanim Life Sciences et membre du cercle des experts de Bpifrance.
Administrateur du Groupe IMT et président du conseil d’école de l’ENSTBB-INP Bordeaux.
Une carrière jalonnée de responsabilités clés dans le développement des bioprocédés et la production de l’innovation thérapeutique, au sein de Merck Serono, Sanofi, Cellectis et Igyxos.
Diplômé de l’UTC (université de technologie de Compiègne) avec un PhD & MS en bio-ingénierie au Georgia Institute of Technology (États-Unis).

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Propos recueillis par Marion Baschet Vernet.

Extrait du magazine Passerelles n°87, pour le consulter cliquez ici.