Biotechnologies : l’offensive des CDMO
Investir et accélérer
Avec des besoins grandissants et une industrie sous tension, la bioproduction est un marché porteur pour les CDMO, qui travaillent à façon avec les startup européennes pour accélérer les médicaments de demain. La période est charnière pour poser les fondations, nouer les partenariats et partir à la reconquête du marché.
Faire de la France le leader européen en bioproduction d’ici à 2030. Telle est l’ambition du plan France 2030, qui sera doté de 7,5 milliards d’euros sur trois à cinq ans. L’objectif est de produire sur le territoire au moins 20 biomédicaments, une catégorie très large qui regroupe aussi bien les vaccins que les immunothérapies contre le cancer et toute la gamme des thérapies géniques pour lutter contre les maladies rares et orphelines. Un pari industriel audacieux, dicté par l’urgence sanitaire et la nécessité de se reconstituer une autonomie pour l’avenir. À ce jour, 8 biothérapies seulement sont produites dans l’Hexagone, contre 34 en Allemagne, 26 au Royaume-Uni, 23 en Irlande et 19 en Italie sur 167 produits biologiques approuvés par l’EMA (2012-2019). 95 % des biothérapies dispensées à l’hôpital français sont importées, selon EIT Health. Et seulement 3 % des anticorps monoclonaux prescrits dans l’Hexagone y sont également produits. Ces quelques chiffres – à eux seuls – sont révélateurs de la situation de dépendance et du défi à relever pour l’avenir.
Renforcer l’outil industriel
Afin de renverser la vapeur, la priorité est aujourd’hui donnée aux investissements dans la bioproduction pour renforcer l’outil industriel, qui rassemble 32 sites sur le territoire, principalement aux mains des laboratoires pharmaceutiques, et moins d’une dizaine de sous-traitants pharmaceutiques ou CDMO (Contract Development and Manufacturing Organizations), qui ont pour coeur de métier la production et le conditionnement des médicaments.
Point positif : la politique France Relance soutient l’émergence de nouveaux acteurs, la reconversion de sites ou l’extension de capacités, dans un secteur qui manque aussi cruellement de fabricants de composants et d’équipementiers sur le territoire national pour relever le défi biotech.
Dans ce cadre, GTP Bioways s’est créée en l’espace de deux ans en associant plusieurs expertises sur le territoire. « La France est aujourd’hui bien positionnée sur toutes les familles de médicaments de thérapies innovantes, en particulier les protéines recombinantes, vaccins thérapeutiques, thérapies cellulaires et géniques », note Alain Sainsot, son PDG. Le principal enjeu se situe, selon lui, au niveau de la transformation de l’innovation académique à l’échelle industrielle. C’est pourquoi GTP Bioways s’est positionnée sur toute la chaîne de valeur des biomédicaments, du développement de procédés jusqu’à l’échelle de lots cliniques et commerciaux de petites séries, notamment pour les médicaments orphelins. Pour aller plus vite, la société a bénéficié d’une subvention de 5,9 millions d’euros de la part de Bpifrance pour construire ses deux lignes de production de candidats vaccins et de thérapies cellulaires à Toulouse (Haute- Garonne).
Dans la dynamique Choose France, Merck déploie également un vaste programme d’extension de ses capacités de protéines recombinantes à Martillac (Gironde) à un niveau de qualité constant. « L’objectif est de pouvoir mener plus d’une vingtaine de projets de développement par an à l’horizon 2024 », note Sébastien Ribault, vice-président End to End CDMO de Merck Life Science, qui évolue depuis vingt-cinq ans dans les biotechs à l’international.
Ces vingt-quatre derniers mois, la pandémie a stoppé certains projets, d’autres ont été accélérés notamment sur les anticorps anti-Covid et les antigènes, sur lesquels se développent de véritables partenariats avec les startup européennes, de l’ADN jusqu’au stade commercial.
Se démarquer et percer
L’enjeu aujourd’hui est de réussir la montée en puissance avec une problématique mondiale d’approvisionnement de matières premières recentrées sur les priorités Covid, qui oblige à arbitrer au quotidien. Le premier facteur déterminant est le financement – le nerf de la guerre, qui doit permettre aux entreprises de se démarquer et de percer de nouveaux marchés. Champion de la thérapie génique, Yposkesi est en train d’investir 58 millions d’euros avec SK Pharmteco sur son site de Corbeil-Essonnes (Essonne) afin d’augmenter ses capacités de production de vecteurs viraux et produire à grande échelle pour traiter les maladies rares. Et, avec l’accroissement des volumes, vient l’exigence de productivité. « Nous allons commencer à travailler avec des bioréacteurs de 1 000 litres d’ici à la fin de l’année, note Morad El Gueddari, directeur des opérations. Il va être indispensable de faire jouer les technologies de rupture pour réaliser des économies d’échelle et rendre plus accessibles les médicaments. »
Un dernier enjeu, et non des moindres, concerne l’adaptation et la montée en compétences des équipes pour mener chaque année plus de projets vers le succès. Aujourd’hui, les besoins sont partout avec d’énormes difficultés de recrutement en bioproduction, qualité, réglementaire, data, etc. Des métiers sont déjà en forte tension comme les techniciens de bioproduction, les développeurs de procédés, etc. Et d’autres vont se renforcer : chef de projet/ ingénieur Lean, directeur de la transformation digitale, spécialiste robotique et automaticien, etc. Le Leem a cartographié les besoins et élaboré ses recommandations dans son plan Compétences Biotech 2025, publié en décembre dernier. L’objectif est d’adapter et de compléter les filières existantes de formation accessibles sur le territoire. Avec ses nouveaux établissements à Dreux en octobre, puis Lille au premier trimestre 2022, le Groupe IMT sera un allié précieux pour renforcer la proximité géographique avec les industriels.
Comment passer de l’académique à l’applicatif ?
Basée à Toulouse (Haute-Garonne), la société GTP Bioways dirigée par Alain Sainsot s’est constitué en deux ans une offre intégrée, de la lignée cellulaire jusqu’aux étapes de remplissage de lots cliniques en flacons et seringues préremplies, en intégrant les compétences de GTP Nano (nano-formulations), GTP Technology (protéines recombinantes et anticorps monoclonaux) et GTP Immuno (dans le dosage des protéines recombinantes). À cela s’ajoutent plusieurs partenariats stratégiques pour faciliter le passage de la production de lots cliniques : le premier avec Fareva pour la production d’anticorps monoclonaux à Saint-Julien-en- Genevois (Haute-Savoie). Le deuxième avec l’équipe BioMAP de l’UMR INRAE-Université « Infectiologie et santé publique » à la faculté de pharmacie de Tours, pour assurer la production GMP du premier vaccin nasal contre la Covid, après des lots précliniques réalisés au sein du Bio3 Institute. Le troisième, plus récent, dans la nano-vectorisation de principes actifs avec le CEA Leti pour permettre le passage à l’échelle industrielle de nano-médicaments au sein de GTP Nano à Toulouse. Avec l’objectif de produire de manière performante et compétitive de nouvelles applications porteuses d’espoir en cancérologie, vaccinothérapie, etc.
GTP BIOWAYS EN 2022
– Chiffre d’affaires global (partenariats inclus) : 20 millions d’euros.
– Budget d’investissements : 13,5 millions d’euros.
– Un effectif de 100 personnes.
Créer un leader européen dans les thérapies géniques
Créé à l’initiative de l’AFM Téléthon (Généthon) avec le soutien de Bpifrance en 2016, Yposkesi a l’ambition de devenir une référence européenne dans le développement et la production à façon des thérapies génique et cellulaire. Avec le potentiel, demain, de guérir certaines maladies génétiques rares comme la myopathie de Duchenne. « C’est cette vision qui m’a séduit lorsque j’ai rejoint l’entreprise en 2018 », note Morad El Gueddari, directeur des opérations et chef du projet « Sky ». La prise des parts majoritaires d’Yposkesi par le conglomérat sud-coréen SK, en mars 2021, permet d’accélérer le déploiement de la stratégie de la société avec, notamment, la construction d’un second bâtiment industriel à Corbeil-Essonnes, opérationnel fin 2023. Ce projet nommé « Sky » correspond à un investissement de 58 millions d’euros. L’objectif ? Augmenter les capacités de production afin de pouvoir accompagner les clients depuis les phases préliminaires de développement jusqu’aux étapes de production à large échelle, dès que le médicament atteint le marché. Et cela en s’appuyant sur les technologies de rupture et les exigences réglementaires européennes et américaines. « C’est la possibilité pour nous de jouer à armes égales et de peser face aux leaders mondiaux, continue-t-il. Le projet va permettre de créer 80 emplois. D’ici à 2023, l’IMT d’Évry sera un allié de poids pour dresser des ponts entre les étudiants et nos futurs techniciens afin de soutenir la montée en puissance. »
Yposkesi en 2023
– 10 000 m2 de production aux plus hauts standards de qualité (EMA, FDA).
– Une capacité de 6 000 litres de lots cliniques et commerciaux.
– La création de 80 emplois supplémentaires.
Des atouts au service de la reprise
L’AGILITÉ. « Notre capacité d’adaptation passe par du conseil et de l’accompagnement sur mesure pour bâtir une formation au plus près des réalités du terrain, dans les délais impartis, et être prêts dès que la production démarre », note Hervé Galtaud, directeur général du Groupe IMT. Exemples récents : la montée en compétences en interne chez Recipharm Monts pour le remplissage aseptique du vaccin Moderna, mais aussi la formation à la gestuelle en ZAC et l’intégration de nouveaux collaborateurs chez Sanofi à Vitry, Novartis aux Ulis, Cell4Cure ou encore le LFB à Lille et Arras.
VEILLE ET ANTICIPATION. Depuis douze ans déjà, la certification professionnelle de technicien spécialisé en bioproduction industrielle (TSBI) accompagne la transformation technique, scientifique et réglementaire de l’outil de bioproduction, et répond aux besoins de métiers en émergence. Plusieurs alternants, encore cette année, ont choisi des CDMO tels que Yposkesi ou Merck Martillac pour faire leurs marques. Le Groupe IMT s’investit également dans le projet de Campus Biotech Digital dont les premiers modules de formation « au pied de l’usine » seront disponibles en janvier 2022.
CENTRE DE RESSOURCES ET D’EXPERTISE. Au-delà de la formation, le Groupe IMT met à disposition ses plateaux pédagogiques à Évry, Tours et Lyon pour développer des formations professionnelles avec des mises en oeuvre et de la validation de compétences selon les BPF. Un autre axe est d’accompagner les start-up dans l’innovation et le scale-up de lots précliniques, en collaboration avec le Bio3 Institute. Exemple : le premier vaccin nasal, développé par l’équipe BioMAP de l’UMR INRAE-Université « Infectiologie et santé publique » à la faculté de pharmacie de Tours.
Le Groupe IMT en 2022
– 50 techniciens spécialisés en bioproduction industrielle diplômés.
– 3 plateaux pédagogiques biotech à Évry, Tours et Lyon.
– Accompagnement de start-up avec le Bio3 Institute.
Sébastien Ribault, vice-président end to end CDMO de Merck Life Science et président de Merck Life Biodevelopment à Martillac (Gironde).
« En bioproduction, il faut compter un an de formation en moyenne pour avoir une personne autonome ».
En quoi Merck Martillac est-il un site à part ?
C’est l’un des plus anciens sites de Merck, créé en 1987 et conforme aux BPF depuis 1995, avec un véritable savoir faire dans la sous-traitance de protéines recombinantes, de l’ADN jusqu’au lot commercial. C’est aussi le plus important du groupe aujourd’hui et celui sur lequel nous avons le plus d’ambition de croissance.
En dix ans, l’effectif est passé de 65 à 400 personnes. Un nouvel investissement en cours de 50 millions d’euros sur deux ans vise à doubler les capacités, en créant 100 emplois en 2022.
Qu’est-ce qui tire la croissance ?
La majorité des projets vise l’oncologie, le cardiovasculaire et les maladies orphelines.
70 % des molécules sont développées par des start-up ou biotechs émergentes, qui nécessitent un accompagnement complet.
Ces vingt-quatre derniers mois, nous avons initié trois projets d’anticorps contre la Covid. Pour un client californien, nous avons réussi à passer de l’ADN au lot clinique en neuf mois, un record de vitesse dicté par la pandémie, avec un alignement aux exigences FDA. Un autre projet belge vise la production multiple de protéines recombinantes à l’échelle de 2000 litres. Nous avons également produit des antigènes pour des tests de dépistage de la Covid.
Peut-on mettre en avant un impact de la Covid ?
Ces vingt-quatre derniers mois, de nombreux projets ont été arrêtés et d’autres initiés. On s’est retrouvé dans cet effet de cisaille avec une problématique mondiale d’approvisionnement de matières premières recentrées sur la priorité Covid. Cela oblige encore aujourd’hui à des arbitrages au quotidien. La première préoccupation est de lancer rapidement les molécules en fournissant des données solides aux autorités. Le domaine réglementaire, qui est en construction dans les biotechs, est probablement l’axe sur lequel nous avons le plus de demandes d’accompagnement de la part de nos clients.
Quel regard portez vous sur l’évolution des procédés ?
Des avancées notables ont été réalisées au travers notamment des poches à usage unique qui facilitent et accélèrent la culture cellulaire et la purification, par rapport aux cuves inox. Aussi, de nouvelles techniques analytiques permettent d’être plus productif sur les étapes longues et coûteuses du contrôle qualité. L’introduction de l’automatisation fait gagner du temps sur les lignées cellulaires, dont les technologies sont majoritairement les mêmes depuis vingt-cinq ans. La prochaine révolution portera sur la collecte de données et le monitoring en ligne pour les molécules blockbusters (plusieurs centaines de kilos par an), notamment dans le cadre de la pandémie, même si nous sommes encore loin du plug and play !
Comment anticipez-vous la gestion du changement ?
Nous sommes considérés comme un groupe qui réalise des expansions rapides. Nous allons embaucher une centaine de personnes sur 30 métiers différents l’année prochaine. Aujourd’hui, le manque de formation en développement et en production pousse à prendre des alternants ou des jeunes fraîchement diplômés que l’on forme en interne. En bioproduction, une année de formation est nécessaire pour avoir une personne autonome. Il n’y a pas non plus d’équipe fonctionnelle et efficace en mode projet sous deux ans. La réussite passe au travers de l’expertise, mais aussi de l’expérience. C’est pourquoi nous entretenons un contact étroit avec l’IMT d’Évry pour aligner les offres à nos besoins, de l’opérateur de production à l’ingénieur en bioproduction. Une vraie adéquation avec les besoins du terrain !
Merck Martillac en 2024
– Capacités de production de 50 lots cliniques et commerciaux par an.
– 20 projets de développement par an.
– Un effectif de 700 personnes.
REGARDS CROISÉS
Constituer un vivier de compétences
Une nouvelle ère s’ouvre pour les acteurs de la bioproduction. L’occasion de faire le point sur le plan Compétences Biotech 2025 du Leem, avec Bastien Hervé du Penhoat, chargé de missions emploi-formation, et Paul Mirland, chargé de projets industries.
Quelle analyse faites-vous du secteur français de la bioproduction ?
Paul Mirland : Historiquement, la France n’est pas une terre de bioproduction. Mais il ne faut pas manquer la révolution des médicaments de thérapie innovante (MTI), après avoir raté le coche des anticorps monoclonaux. Notre écosystème est bien pourvu en entreprises innovantes dans les biothérapies. De multiples petits CDMO se positionnent également sur un large éventail de biotechnologies. Il faut maintenant relever plusieurs défis liés à l’éclatement du secteur : faciliter la mise en réseau, les aider à atteindre une taille critique et à mener jusqu’à maturité leurs projets de développement. Il y a deux moments critiques dans la mise en production d’une biothérapie : le premier est le passage à des conditions pharmaceutiques et le second concerne l’évolution croissante du besoin en capacités, entre les phases cliniques II et III, afin de soigner un plus grand nombre de patients. Le problème est qu’il est difficile pour les CDMO actuellement de trouver des financements pour leurs développements. Si la culture du risque est acquise pour l’innovation en France, elle l’est moins en production.
Quel est l’impact sur les besoins en compétences et les nouveaux métiers ?
Bastien Hervé du Penhoat : À l’horizon 2025, on envisage une croissance du nombre d’emplois de 40 % pour les développeurs de biothérapies (laboratoires, biotechs et start-up), avec 930 créations nettes essentiellement en R&D et bioproduction pour anticiper les phases d’industrialisation. Sur l’axe de la bioproduction et de la qualité, on a une croissance des effectifs de 67 % avec 1 254 créations nettes d’emplois liées à l’ouverture de sites.
À cela s’ajoute le besoin croissant de compétences numériques (robotique, lean management, capteurs et monitoring en ligne, etc.) pour accompagner la recherche de productivité.
Paul Mirland : Gagner en productivité sera le cap le plus important des prochaines années ! Au-delà des volumes propres à chaque acteur, il y a l’enjeu d’avoir une capacité collective pour produire des biomédicaments pour le monde à des coûts compétitifs.
Les rendements ne sont pas élevés aujourd’hui, même chez les plus gros CDMO. D’où l’enjeu de cartographier et mettre en relation les acteurs de la bioproduction avec les fournisseurs de l’innovation technologique sur le territoire. C’est un axe de travail pour améliorer les procédés.
La marche est-elle haute à monter ?
Bastien Hervé du Penhoat : En trois ans, il faut surtout aller vite ! L’accès aux compétences ne doit pas être un frein au développement des médicaments biotech. L’objectif du plan est d’avoir une offre de formation initiale et continue accessible sur le territoire. Reste la question pour les CDMO de davantage s’ouvrir et de se faire connaître des jeunes. Un enjeu de visibilité important aussi pour attirer les profils numériques et orientés sur l’IA.
DEUX AXES FORTS :
– Disposer de compétences et de savoir-faire sur toute la chaîne de valeur.
– Renforcer la formation aux métiers d’avenir, en particulier autour de la data en santé et de la bioproduction (réglementaire, qualité).
Dossier réalisé par Marion Baschet Vernet et l’infographie par Hervé Poudret.
Extrait du magazine Passerelles 79, pour consulter le magazine cliquez ici.